Pénurie II
Si courir après le temps, la reconnaissance ou l’amour donnait du sens à la vie, ça se saurait… Bref bienvenue aux Jeux Olympiques du stress, où tout le monde joue et personne ne gagne.
Pourquoi avoir choisi ce thème et pourquoi cette série comportera probablement plus que trois textes ? Parce qu’il me semble que cette pensée de pénurie est l’une des sources invisibles de travers nuisibles du quotidien dans la société « occidentale supposément moderne ». (Dans une autre série, je revisiterai cela, histoire de détricoter nord/sud, pays développés/sous-développés et autres joyeusetés douteuses).
C’est pourquoi ce texte explore différentes conséquences de cette pensée de pénurie. En premier lieu, la peur chronique de manquer de temps, génératrice de stress, de procrastination et d’incapacité à savourer l’instant présent. Cette urgence permanente pousse à glorifier l’hyper-productivité, à croire qu’on fonctionne mieux sous pression et qu’un agenda rempli est gage d’importance et de valeur. (Spoiler : non).
Ce qui amène rapidement sur le terrain de la reconnaissance. Car, s’il s’agit d’une ressource limitée, il semble logique de ne pas vouloir se reposer sur ses acquis, d’avoir du mal à se célébrer soi-même, d’être en quête de signes extérieurs de validation pour justifier son existence. Pour n’être que rarement satisfait ou, au mieux, rassuré entre deux crises existentielles.
De là à penser que l’amour est une denrée rare… La pensée de pénurie souffle qu’il faut mériter d’être aimé, qu’aimer plusieurs personnes est un concept réservé à des libertins dépravés et qu’un quota restreint de partenaires idéaux a été voté à l’AG de Cupidon Inc. Avec ce programme très libérateur, pas étonnant qu’on se mette la rate au court-bouillon.
La pensée de pénurie façonne les choix, attise les peurs, oriente les ambitions, alimente la comparaison et fragilise les liens sociaux. Elle provoque l’auto-censure en créativité, restreint le pouvoir au privilège, pervertit l’entraide en méfiance, travestit le bonheur en quête impossible. Un conditionnement si puissant qu’il enferme même celles et ceux qui semblent tout posséder… ou s’illusionnent à le croire.
[Au prochain épisode… Pour certaines personnes, la pensée de pénurie restera un concept abstrait, inopérant. Pour d’autres, elle est d’une évidence brutale. Et prétendre le contraire relève plus du privilège et du délire New Age que d’une réalité tangible…]



