Pénurie IV
La pénurie : état naturel ou construction sociale ? Quand l’abondance devient un privilège réservé, la mécanique de la rareté organisée prospère en transformant l’injustice en business model.
La peur de manquer dépasse la raison. Accumuler est maintenant une nécessité vitale. Ce n’est plus une question de besoins réels, mais de remplissage instantané du vide. C’est devenu un programme interne où le cerveau a assimilé la pénurie comme une vérité universelle. Et ce conditionnement enferme dans un état d’alerte permanent où la précaution se transforme en méfiante avidité.
Ce n’est plus la peur de faire face à un mammouth en rut qui guide mes comportements et réactions émotionnelles, mais celle de passer à côté de la promo du siècle. Triste trophée. Mon droit d’exister se mesure à mon panier Temu. L’idée que tout est rare et inaccessible pousse à sécuriser ses acquis plutôt qu’à oser créer des alternatives.
La rareté est rentable. Derrière la pensée de pénurie, il y a toujours des personnes qui vendent, spéculent, monnayent l’accès et justifient leur autorité. Le monde manque moins de ressources que de partage équitable, de tempérance et de consommation réinventée. L’abondance existe, il faut juste avoir son bracelet VIP. C’est donc moins un problème de nature qu’un choix de société.
Jamais l’humanité n’a produit autant de nourriture, et pourtant, les famines persistent. Comble de l’abondance : quand récupérer les invendus dans la poubelle d’un supermarché est un crime, c’est que ce n’est plus un enjeu de pénurie mais bien un business model. Logement, soins, éducation, connaissances scientifiques, culture… Autant de richesses devenu des denrées rares barricadées derrière passe-droit et paywalls.
Enfin, la pensée de pénurie conditionne à accepter l’injustice comme une fatalité. L’obsession du manque, savamment entretenue, galvanise l’ambition égotique du dépassement de soi et de la conquête des autres. Oublier que l’abondance a été confisquée devient alors un simple effet secondaire du progrès. Un progrès qui privatise tout, y compris la misère, l’eau et le droit de vivre dignement.
[Bon, maintenant que le bug a été exposé : place au hacking ! Rendez-vous au prochain numéro pour apprendre à jouer autrement et reprogrammer cet OS obsolète…]
Pour commencer à étirer le muscle du changement de paradigme, je propose cet extrait de l’intervention de l’astrophysicien Aurélien Barrau, à l'événement Une époque Formidable (Lyon, 12 octobre 2020) sur la thématique suivante : “De la Terre à l’espace, un même défi éthique ?”.
Sur le principe d’illimitation
”C’est exclusivement le désir illimité de possession matérielle associé à une production destructive qui est problématique. Donc on ne croit surtout pas que l’écologie est castratrice ou qu’elle est décroissante. Elle appelle à toutes les croissances fondamentales, sauf cette part infime de nos activités, qui est l’accumulation de biens matériels détruisant les conditions d’habitabilité de notre planète. En fait il faut renonce à presque rien, mais je trouve que ce presque rien détruit presque tout.”

