Pénurie VI
Des micro-défis pratiques comme antidotes au réflexe de pénurie. Et si donner un peu chaque jour devenait un acte de résistance pour court-circuiter l’illusion du manque tout en douceur ?
Comment casser le réflexe du : mieux vaut garder, sait-on jamais ? J’ai déjà hésité à partager une opportunité ou un peu de mon plat, par peur de manquer. Comme si c’était la dernière fois… Pourtant ce n’est pas comme si un astéroïde allait raser mon frigo. Cette angoisse de fin du monde me colle aux basques. Et vous ?
Cette peur est-elle vraiment archaïque, inéluctable, ou un bug mental sponsorisé par l’économie de marché ? Que se passe-t-il quand j’ose donner gratuitement ? Quand, au lieu d’accumuler, j’ose me départir, m’alléger? Est-ce que je me vide ou me désintègre quand je deviens une ressource plutôt qu’un récipiendaire (récipient d’air) ? Vider et perdre pour exister, c’est contre-intuitif… et pourtant.
Et si, pendant une semaine, je donnais une chose par jour ? Pas un rein, hein. Un sourire, un compliment, un café… ou ton dernier Carambar si t’as vraiment la foi ! Rien d’héroïque, juste des micro-gestes de détachement volontaire. Un antidote au conditionnement de rétention. Un rituel quotidien anti- accumulation. Un sabotage du stockage émotionnel. Offrir comme acte subversif.
Autre défi : agir sans attente. Prêter un livre aimé sans traquer son retour. Partager une idée sans dette de copyright. Offrir un conseil sans réclamer son application. Tester ce rare paradoxe : l’action détachée de toute récompense immédiate sans promesse de like, ni cashback karmique. Vérifier que se délester volontairement rend plus léger, pas plus vide ni plus mort.
Ces micro-défis pratiques ne renversent pas le monde. Ils détraquent gentiment l’illusion de la logique de pénurie. Leur simplicité les rend accessibles. Leur répétition les rend discrètement révolutionnaires. Prérequis ? Ni stage ésotérique au Pérou, ni sanctification du Vatican. Ni ascèse austère, ni sagesse ancestrale. Juste un peu d’audace, d’humour et de désobéissance civilisée pour réapprendre la fluidité du vivant.
[À découvrir au prochain numéro : après être passé des mots aux actions, que reste-t-il quand s’arrête la croyance qu’il n’y en aura jamais assez ? L’amplification de ces micro-gestes individuels peut-elle soutenir la déconstruction de la pensée de pénurie et le dérèglement de la machine à manque ? Quel terreau fertile pour une réinvention silencieuse du faire-commun et de l’être-ensemble ?]


